(Suite du témoignage de Landry, 28 ans)
Aujourd’hui les choses sont telles qu’elles sont, et je n’ai pas envie d’en parler à mon entourage. Je n’ai pas envie que ma mère lise le livre que je viens d’écrire, et ça me fait peur aussi. J’ai parlé de la douance à ma femme, qui semble comprendre plus ou moins selon les jours. Une fois, j’ai eu besoin de me confier à deux amis et à ma sœur, lorsque j’avais trop accumulé ce sentiment de décalage. Et c’est tout.
À l’adolescence, lorsque j’ai su, je n’ai eu que des réactions intérieures. Mais je me souviens que la prof principale a parlé de mes résultats en conseil de classe, en présence d’une de mes camarades déléguée. Dès qu’elle est sortie, ma collègue m’a crié de l’autre bout du couloir « Alors, mon petit surdoué !« , devant plein de monde. C’était terrible. C’était gentil et je ne lui en veux pas à elle, mais ça m’a choqué. Pourtant la psy n’avait pas confirmé la surdouance après le bilan. Il faut croire que pour d’autres c’était plus évident.
Ensuite, je n’ai pas eu besoin de trop évoquer le sujet. Je me suis un peu renseigné sur un site spécialisé sur la douance (qui semble ne plus exister), et ça m’a suffit, ça m’a confirmé les choses. Et puis je suis bien tout seul, j’aime bien être tranquille.
À cette époque le bac de français arrivait, j’ai senti que ce n’était pas dans ce contexte que j’allais gérer mon histoire. Je n’arrivais plus à aller au lycée. J’étais très angoissé et mes jambes étaient tellement faibles au moment d’entrer dans le lycée ! J’ai décidé de sécher les cours, pour travailler tranquillement au CDI. Je respectais les matières enseignées en cours, mais je ne faisais pas ce qui était proposé en classe, j’essayais plutôt de combler mes lacunes. Un matin, après trop d’absences enchaînées, le CPE a contacté ma mère et ça a été la panique à la maison. Convoqué, j’ai expliqué que je travaillais au CDI. C’était amusant, car le CPE pensait trouver un cliché d’ado qui sèche, alors que je voulais apprendre.
J’ai rattrapé certaines lacunes et cela m’a servi plus tard. Mais j’ai arrêté le lycée en première, je ne voulais plus me détruire. C’est après que je me suis reconstruit. J’ai travaillé sur moi-même, avec moi-même, pour moi-même.
Cela n’a pas été simple. Je me rappelle une fois où ma mère m’a agressé dans la cuisine, avec un couteau dans la main, en me criant « Va-t-en ! Va-t-en !« .
Je n’allais plus en cours, j’ai dû écrire une lettre de démission. J’ai réalisé que ce qui l’a mis le plus en colère, c’était le risque de perdre des allocations familiales. Au téléphone, mon grand-père me disait : « Mais quelle mouche t’a piqué Landry« . Ils ne comprenaient pas que pour moi c’était une obligation. J’avais 18 ans, déjà des années de gâchées et plus de temps à perdre. J’ai eu l’impression d’avoir été rouillé et figé. J’ai commencé des petits jobs. Puis j’ai réfléchi à ce que je voulais faire. J’ai créé une association, Indiesis, pour me permettre de faire des émissions de radio. J’ai fait ça pendant un an, une fois par semaine, sur des conceptions d’artistes, des gens qui font quelque chose de leur vie parce qu’ils l’ont voulu. Indiesis est maintenant une maison d’édition. (Voir http://indiesis.com/)
Il y a quelques années, vu que je n’avais pas le bac, j’ai passé un diplôme pour pouvoir accéder aux études universitaires.