(Suite du témoignage d’Adèle, 40 ans)
Jusqu’à récemment, je n’avais pas l’once d’un début d’idée de la douance. Ça ne m’était jamais venu à l’idée. Je crois que je le ressentais, mais je n’avais pas été jusqu’à le remarquer.
Mon enfance a été très heureuse. J’ai l’image du générique de Candy, avec du soleil et plein de trucs qui pétillent. Toute ma douleur était canalisée dans quelques moments ponctuels de tristesse.
Enfant, de mes 3 à mes 9 ans, j’avais de très grands chagrins, je m’enfermais dans ma chambre. Ma maman venait tout gentiment me demander de lui dire ce qui n’allait pas, j’étais incapable de lui répondre. Je ressentais un immense vide, des gouffres de rien, des trous noirs, un sentiment de néant, d’abandon. C’était en fait la solitude, mais je ne le comprenais pas alors. Ces chagrins étaient en général provoqués par quelque chose, mais c’était surtout un sentiment diffus de « tour d’ivoire », qui faisait que j’étais incapable de me tourner vers les autres. Je voyais bien qu’il y avait des grandes personnes gentilles, ma mère, une tante, qui essayaient de m’aider, mais je ne pouvais pas parler. Quelque chose bloquait dans ma gorge. Je ne savais même pas ce que j’avais envie de leur dire.
Une fois, durant les vacances d’été, une autre tante nous avait invité à goûter avec des copains du voisinage. J’avais 8 ans. C’était un vrai événement à ne pas rater, la seule fois où tout le monde était là au goûter. Je ne sais pas ce qui a déclenché la crise, peut-être une contrariété à cause d’un cousin, mais je suis partie bouder dans la salle de bain. Je m’y suis enfermée, virtuellement du moins car la salle de bain était fermée par un rideau… Malgré ma tante qui restait très gentille et très douce derrière le rideau, je n’ai pas réussi à sortir ni à répondre à ses questions.

Une peinture chez Adèle, faite par une artiste du quartier. Vous découvrirez ses propres dessins bientôt !
Plus grande, lorsque je discutais avec les gens, j’étais persuadée d’être un individu « lambda ». J’étais pourtant dans le trio de tête en classe jusqu’au collège. Au lycée j’ai mis des priorités sur les matières qui m’intéressaient le plus, mais sans trop baisser au classement.
Mon éventuelle « spécificité » n’était pas un sujet du tout dans la famille. Mon père est assez particulier aussi, j’ai mis du beaucoup de temps à comprendre sa fragilité. Il est secret, en retrait, très doux, attentif, dans l’aide, et paradoxalement peut paraître très arrogant. Ma mère, elle, me disait des trucs du genre « Je ne comprends pas, mais je t’entends ». Bizarrement, car étant dans l’éducation nationale, mes deux parents n’ont pas mis de mots là-dessus. Mais je pense tout de même que leur attitude a été bénéfique et idéale. Ils m’ont ouverte à plein de choses et ne m’ont pas coupé les ailes.