X – Y – Z

Bruno surdoue temoignage-10

(Suite du témoignage de Bruno, 58 ans)

En tant que zèbre, le fait d’être adopté donne un cadre très particulier. Toute ma vie, j’ai vécu ma différence, qui était évidente, persuadé qu’elle s’expliquait par l’adoption. Une sorte d’échappatoire mental, ou une justification facile permettant de me faire accepter sans difficultés. En même temps j’ai pensé mon adoption sous X en arborescence de zèbre, avec un foisonnement ingérable. Ça m’a pris la tête pendant des décennies. Ça a aussi accompagné une enfance pas très facile : mes échecs scolaires, mes difficultés à m’intégrer ou à me faire comprendre, je les mettais sur le compte de l’adoption.

Je n’ai eu aucune information sur mes parents biologiques (peut-être une origine Grenobloise), malgré mes recherches. J’ai passé des annonces dans des journaux, cherché sur des sites, fait des démarches auprès d’associations, tout ce qui existe. J’ai cherché, vraiment, parce que j’en avais un foncier besoin et ce besoin persiste. Cette différence fait que j’ai toujours été dans le doute pour tout. J’ai 4 enfants, et ma première fille était la première personne “de ma génétique” que je rencontrais. Ce qui est intéressant là dedans, c’est l’étonnant mélange avec l’aptitude qu’apporte la zébritude à ressentir, imaginer, se mettre à la place des autres etc. N’ayant pas de racines, je pouvais m’identifier à tout ce que je voyais, à tout ce que je côtoyais. Si tu nais corse ou parisien, tu sais à peu près d’où tu viens. Moi non ! J’ai donc adhéré à toutes les causes, à toutes les cultures. J’ai fantasmé tous azimuts. Imaginé tous les scénarios (pied noir, italien, juif, croisé danois/croate…), fabriqué et vécu toutes les histoires du monde.

Ma famille adoptive était en partie d’origine bourgeoise. Mes parents étaient très ouverts, mais dans mon cheminement l’environnement bourgeois a été assez pesant. J’ai toujours eu de la distance avec ça, déjà parce que j’étais adopté, et puis en tant que zèbre, je n’ai jamais pu me contenter d’une fausse représentation et vision du monde, j’ai plutôt besoin d’aller vers la vérité et le fond des choses. Enfant, j’ai construit ma personnalité en sachant très tôt que mes parents n’étaient pas mes parents biologiques et même s’ils me disaient l’inverse, je me sentais leur “devoir” quelque chose. La culpabilité et la gêne que je portais, enfant, étaient renforcée involontairement par mon éducation chez les jésuites. Mon décalage était permanent ; à l’école aussi, par rapport à mes copains je me disais : “Tu n’y as pas droit ! Tu n’as pas le droit ! Tu n’as pas de droits !”. Je me sentais “en transit”, redevable. Je n’étais pas dans la clarté d’une pièce carrée, plutôt dans un no man’s land aux contours indécis. A l’école ou dans mon quartier bourgeois, je me vivais comme le fils du jardinier, égaré.

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