(Suite du témoignage de Bruno, 58 ans)
Je suis souvent fragile, émotif, j’ai beaucoup évolué mais je le subis toujours. J’ai des milliers d’exemples même très récents où le monde s’effondre pour des choses que les autres appellent broutilles ; le sens des choses qui justifie l’investissement, l’engagement, peut être fragilisé sur un mot ou un événement qui ne sera même pas perçu par quelqu’un d’autre. Ça m’épuise et ça épuise les autres… Mes réactions émotionnelles se déclenchent à des seuils réduits là où d’autres ne sont pas touchés. Avant de connaitre mon fonctionnement, ça pouvait friser des niveaux pathologiques ; soudain plus rien ne pouvait avoir de sens, j’avais juste envie d’arrêter sur le champ, de partir ! Ça va beaucoup mieux aujourd’hui, enfin je crois.
Depuis 30 ans dans mon parcours professionnel d’architecte, j’ai conçu et réalisé plus de 450 projets. Je vis mon travail en pensant que je suis compétent, et c’est épuisant de prendre à cœur les relations avec mes clients, en particulier les valeurs de confiance et d’honnêteté. Je vis viscéralement toutes les étapes de collaboration. Depuis la révélation de ma zébritude je prends du recul, je m’impose une latence dans mes réactions émotives. J’ai aussi trouvé dans ma famille ou auprès d’amis une aide pour lâcher prise, et aborder les problèmes autrement qu’en frontal, changer mon regard sur le monde.
Je garde des moments de doute absolu, dans tous mes parcours, la musique par exemple. Je m’éclate à chanter à jouer de la guitare, j’ai composé des morceaux, organisé des concerts, joué avec des super groupes, joué devant des centaines de personnes, eu jusqu’à 20 dates par an. Et pourtant, je me disais “Mais quel imposteur tu es !”. Cette notion d’usurpateur est forte chez moi, quand l’enfant adopté fait écho au zèbre qui ne se sent jamais à sa place. Depuis que la zébritude s’est révélée, je suis toujours habité par les mêmes doutes, ça a dû se caler dans les gènes… Je fais sans prétention du chant lyrique dans un chœur, je sais que ne serai jamais ténor professionnel mais je suis très impliqué, très investi, je travaille beaucoup. Il peut m’arriver au beau milieu d’un concert d’avoir subitement des sueurs froides et intérieurement de m’entendre me dire : “ Tu es nul ! Tu fais croire, mais tu n’es rien ! ”. Dans tous les pans de ma vie ça persiste encore un peu. Il n’y a que dans le sport que je ne doute pas, il n’y a plus de place pour ça par exemple dans une compétition d’aviron dès que le départ est lancé. On se bat contre les autres et surtout contre soi-même, juste pour dépasser le meilleur de ce qu’on a en soi! Et belle expression avironistique à l’adresse des zèbres : pour gagner, il faut « débrancher son cerveau ».