« Je veux être vieille »

Delphine surdoue temoignage
(Suite du témoignage de Delphine, 36 ans)
Mon enfance est peut être le plus intéressant pour ce témoignage. Il y a eu bien des moments où je me suis sentie très différente. Mais j’ai été très bien accompagnée je crois, par ma mère. Quand j’étais petite, j’avais l’impression d’être vieille, au sens « sage ». Quand on me demandait ce que je voulais faire quand je serai plus grande, je répondais « Je veux être vieille », car ça aurait été une façon de faire correspondre ce que je sentais « à l’intérieur de moi » à mon apparence. Ce moment est peut-être la charnière, le moment où j’ai accepté d’être comme les « vieux », les « grands » les « sages », alors que mon corps était celui d’une petite fille. L’image que les autres avait de moi ne correspondait donc pas à ce que je ressentais à l’intérieur.

A l’époque je me trouvais plus mature que pas mal d’adultes : eux étaient capables de mentir, de voler, de tricher, de se tromper eux même (ce que je trouvais être le summum de l’erreur). Je me disais que je ne pouvais pas m’appuyer sur eux, car je voyais bien qu’ils étaient faillibles. Et comme je n’avais pas non plus beaucoup d’amis de mon age, je me suis sentie assez seule.

A quel âge ?
Ma mère dirait que j’ai toujours été comme ça, dès que j’ai pu parler, vers 2/3 ans. Moi je me souviens de ces sensations seulement à partir de mes 6 ans.
J’ai le souvenir par exemple d’avoir vu mon père voler une petite bricole, dans la boutique d’un parc d’attraction, alors qu’il gagnait très bien ça vie. J’ai refusé qu’il me l’offre, ça me choquait. J’ai essayé de lui expliquer, mais cette confrontation, cette opposition à un adulte, était difficile.
Vers mes 8 ans, mes parents ont divorcé, et j’ai clairement vécu leurs jeux de petit pouvoir, leurs manipulations. J’ai essayé d’intervenir là dedans, notamment pour expliquer à mon père que sa colère était mal dirigée. Je lui avait fait une sculpture en terre crue qui représentait sa mère, car j’avais conscience que beaucoup de ses problèmes venaient de sa relation avec elle. Je la lui ai offerte en lui expliquant : « Quand tu seras prêt, je veux que tu brises cette statue, car il faut que tu coupes le cordon. Si tu n’est pas capable de le faire en vrai, fais le symboliquement, fais le pour moi ». Il a pleuré, il a gardé la sculpture qu’il n’a jamais brisé. Je sentais que je souffrais de ne pas être à ma place d’enfant par rapport à lui, et de ne pas pouvoir me placer en tant que petite fille sous la protection de son papa. Vers 20 ans, j’ai arrêté d’attendre qu’il joue pleinement son rôle auprès de moi. Comme une acceptation de ses limites, j’ai cessé d’attendre de recevoir ce qu’il ne possédait pas. Ce fut un vrai deuil, puis une partie de ma souffrance est partie.

A cette période de décalage avec les gens de mon age, entre 9 et 14 ans j’avais besoin d’être avec des adultes vivant en harmonie avec eux même. Ma mère m’emmena donc dans des cours de yoga et de méditation. J’avais déjà essayé le Taï-Chi-Chuan, et j’adorais ça. Dans ce nouveau groupe, mon age ne posa de problème à personne. On parlait aussi de philosophie. J’étais à la fois considérée comme la cadette et respectée en tant que personne. Cela me convenait pleinement et nourrissait mes deux consciences : « vieille » à la différence de mon enveloppe corporelle ; et aussi l’enfant qui aime faire de la corde à sauter.

6 réponses à “« Je veux être vieille »

    • Merci Francis, oui étonnant mais pas tant que ça : au plus j’avance dans les témoignages, au plus je constate des recoupements marqués sur des certains évènements vécus par les uns ou des autres. Rassurant aussi : on est jamais seuls à passer par certaines étapes où l’on se sent en décalage, même si on ne se rend pas compte. Et c’est valable à l’age adulte aussi !

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  1. Comme je me reconnais là-dedans! D’être multi-âges… Mais aussi que déjà à 12 ans, je me sentais orphelin alors que mes parents étaient bien vivants, j’ai fait mon deuil car pour moi non plus, mes parents ne pouvaient pas endosser leur rôle de parents… Tu as eu de la chance avec ta mère.

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